"Notre genèse éternelle ne fait que commencer" Il faut que je vous dise. Nous (Fantazio, Elise Caron, Peter Corser, Ulash Osdemir, Sam Karpiena, Pascal Contet, Marlène Rostaing, Ba'ha (le libanais)...
Rescooped by Juan Carlos Hernandez from Infos en français |
Cette ville est folle, vraiment folle, rien de semblable ce que j’avais vécu jusqu’ici (même si ça rappelle Naples sous certains aspects, sauf que le volcan qui plane au-dessus des têtes est d’une toute autre nature…). J’ai surtout compris – comme tous ceux qui passent un peu de temps ici – que je n’avais rien compris aux questions politiques et culturelles du Proche-Orient (mais comme dit un dicton local, « si tu comprends le Liban, c’est qu’on te l’as mal expliqué ! »). Les gens sont sur le qui-vive depuis qu’un village a été bombardé, le premier ministre a démissionné avant-hier, un acte salué par des tirs de mitraillette et des feux d’artifice dans certains quartiers… Rien de « grave » pour l’instant, la vie suit son cours, mais les gens ont vraiment peur de ce qui va se passer dans les prochaines semaines et les prochains mois, la ville retient son souffle tout en continuant à faire la fête et à se reconstruire, les vieux immeubles qui subsistent ça et là étant encore criblés des tirs de mitraillettes et de mortiers datant de la guerre civile. Les gens déplorent que les occidentaux ne soient pas intervenus plus tôt en Syrie, car l’opposition (au départ démocrate) est peu à peu devenu un micmac de milices plus ou moins extrémistes qui récupèrent les armes envoyées pour soutenir les rebelles, alors tout le monde redoute la chute de Bachar El Assad (surnommé « le fils du boucher », car son père était au moins aussi sanguinaire que lui).
Et ce n’est qu’un paradoxe parmi d’autres… car, s’il fallait résumer cette ville en mot, ce serait SCHIZOPHRÈNE (conservatisme/modernisme, pauvreté omniprésente/richesses ostentatoires, liberté/autocensure, anarchie et chaos absolus dehors/élégance et raffinement total à l’intérieur, subversion/manipulation, résistance artistique et intellectuelle/dérapages identitaires et religieux). Un sentiment admirablement résumé par mon chauffeur libanais, un mec adorable d’une cinquantaine d’année : « Avant et même pendant la guerre civile, c’était la fête, la liberté, l’espérance, et on était armés pour défendre notre quartier nous-mêmes contre les milices syriennes, maintenant tout est corrompu et manipulé par les intérêts russes, arabes ou occidentaux, l’Etat est en lambeaux, alors ce qu’il nous manque, c’est une vraie et bonne dictature pour remettre tout le monde à sa place à coups de bâtons dans le cul ! » ici le Hezbollah est populaire, même auprès des chrétiens, car c’est le seul parti à ne pas être entièrement corrompu par les investisseurs locaux et surtout étrangers, et à se concentrer sur les questions sociales, l’Etat étant inexistant, et l’armée, un spectre qu’on voit errer un peu partout dans la ville, à l’abri d’une guérite ou d’un tank faisant partie du mobilier urbain. Bref, les bons et les gentils, le bien, le mal, se résument difficilement au clichés de notre journal de 20h, quand bien même on en parlerait encore après 25mn de baratin sur les dernières chutes de neige !
Pour nous, Beyrouth restera aussi ce lieu de fête invraisemblable, où nous chavirâmes dans un bar à chicha à l’air libre au pied d’une autoroute, où les femmes (sublimes, soit dit en passant) et hommes de tous âges grimpaient sur les tables au son des morceaux de Oum Khalsoum ou de Lili Boniche, joués frénétiquement par de magnifiques musiciens locaux, nous entraînant à danser au milieu des odeurs de grillades jusqu’à des heures indues (ça m’a fait remonter les souvenirs enfouis des fêtes de villages grecs de mon enfance) ! Le Paris d’aujourd’hui va me sembler triste et artificiel à mon retour, alors que Beyrouth est la capitale la plus affreuse qu’il m’ait été donné de voir… quand je pense que la Goutte d’Or recelait de lieux et de cabarets comme celui là il n’y a pas encore si longtemps que ça, avant que la télé, la spéculation et le formatage économique et culturel ne foutent tout ça en l’air. Heureusement que nos fabuleux cheptels de doux-dingues, acrobattants, voltigistes et troubadours des temps modernes résistent encore, mais une chose et sûre, pour moi (je le voyais venir depuis quelques temps) : plus rien ne pourra être tout à fait comme avant, après cette nuit que nous venons de vivre, voyage de tous les voyages, départ sans fin, point d’orgue inespéré de nos douze années de métissage musical, de rencontres et de confrontations entre les lieux les plus éloignés, connus ou insoupçonnés de nos mémoires, de nos atlas intérieurs, de nos racines et de nos c(h)œurs. Je redécouvre ce que la musique est capable de produire sur nous, effet vocable et irrévocable… alors que j’ai longtemps continué à penser et à croire que seuls le théâtre et ses dérivés poétiques et dramaturgiques pouvaient agir sur la conscience sociale de l’homme… mais le mystère ne fait que s’enrichir (mais, « jusqu’où ça commence la musique ? » [Bernard Lubat]), et l’homme, encore et toujours, aspire, espère et s’inspire à devenir humain. Ce que nous sentons quand, « dans le souffle rythmique et l’organique de l’improvisation (la vie quoi !), surgit la voix de l’Autre. »
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Cette ville est folle, vraiment folle, rien de semblable ce que j’avais vécu jusqu’ici (même si ça rappelle Naples sous certains aspects, sauf que le volcan qui plane au-dessus des têtes est d’une toute autre nature…). J’ai surtout compris – comme tous ceux qui passent un peu de temps ici – que je n’avais rien compris aux questions politiques et culturelles du Proche-Orient (mais comme dit un dicton local, « si tu comprends le Liban, c’est qu’on te l’as mal expliqué ! »). Les gens sont sur le qui-vive depuis qu’un village a été bombardé, le premier ministre a démissionné avant-hier, un acte salué par des tirs de mitraillette et des feux d’artifice dans certains quartiers… Rien de « grave » pour l’instant, la vie suit son cours, mais les gens ont vraiment peur de ce qui va se passer dans les prochaines semaines et les prochains mois, la ville retient son souffle tout en continuant à faire la fête et à se reconstruire, les vieux immeubles qui subsistent ça et là étant encore criblés des tirs de mitraillettes et de mortiers datant de la guerre civile. Les gens déplorent que les occidentaux ne soient pas intervenus plus tôt en Syrie, car l’opposition (au départ démocrate) est peu à peu devenu un micmac de milices plus ou moins extrémistes qui récupèrent les armes envoyées pour soutenir les rebelles, alors tout le monde redoute la chute de Bachar El Assad (surnommé « le fils du boucher », car son père était au moins aussi sanguinaire que lui).
Et ce n’est qu’un paradoxe parmi d’autres… car, s’il fallait résumer cette ville en mot, ce serait SCHIZOPHRÈNE (conservatisme/modernisme, pauvreté omniprésente/richesses ostentatoires, liberté/autocensure, anarchie et chaos absolus dehors/élégance et raffinement total à l’intérieur, subversion/manipulation, résistance artistique et intellectuelle/dérapages identitaires et religieux). Un sentiment admirablement résumé par mon chauffeur libanais, un mec adorable d’une cinquantaine d’année : « Avant et même pendant la guerre civile, c’était la fête, la liberté, l’espérance, et on était armés pour défendre notre quartier nous-mêmes contre les milices syriennes, maintenant tout est corrompu et manipulé par les intérêts russes, arabes ou occidentaux, l’Etat est en lambeaux, alors ce qu’il nous manque, c’est une vraie et bonne dictature pour remettre tout le monde à sa place à coups de bâtons dans le cul ! » ici le Hezbollah est populaire, même auprès des chrétiens, car c’est le seul parti à ne pas être entièrement corrompu par les investisseurs locaux et surtout étrangers, et à se concentrer sur les questions sociales, l’Etat étant inexistant, et l’armée, un spectre qu’on voit errer un peu partout dans la ville, à l’abri d’une guérite ou d’un tank faisant partie du mobilier urbain. Bref, les bons et les gentils, le bien, le mal, se résument difficilement au clichés de notre journal de 20h, quand bien même on en parlerait encore après 25mn de baratin sur les dernières chutes de neige !
Pour nous, Beyrouth restera aussi ce lieu de fête invraisemblable, où nous chavirâmes dans un bar à chicha à l’air libre au pied d’une autoroute, où les femmes (sublimes, soit dit en passant) et hommes de tous âges grimpaient sur les tables au son des morceaux de Oum Khalsoum ou de Lili Boniche, joués frénétiquement par de magnifiques musiciens locaux, nous entraînant à danser au milieu des odeurs de grillades jusqu’à des heures indues (ça m’a fait remonter les souvenirs enfouis des fêtes de villages grecs de mon enfance) ! Le Paris d’aujourd’hui va me sembler triste et artificiel à mon retour, alors que Beyrouth est la capitale la plus affreuse qu’il m’ait été donné de voir… quand je pense que la Goutte d’Or recelait de lieux et de cabarets comme celui là il n’y a pas encore si longtemps que ça, avant que la télé, la spéculation et le formatage économique et culturel ne foutent tout ça en l’air. Heureusement que nos fabuleux cheptels de doux-dingues, acrobattants, voltigistes et troubadours des temps modernes résistent encore, mais une chose et sûre, pour moi (je le voyais venir depuis quelques temps) : plus rien ne pourra être tout à fait comme avant, après cette nuit que nous venons de vivre, voyage de tous les voyages, départ sans fin, point d’orgue inespéré de nos douze années de métissage musical, de rencontres et de confrontations entre les lieux les plus éloignés, connus ou insoupçonnés de nos mémoires, de nos atlas intérieurs, de nos racines et de nos c(h)œurs. Je redécouvre ce que la musique est capable de produire sur nous, effet vocable et irrévocable… alors que j’ai longtemps continué à penser et à croire que seuls le théâtre et ses dérivés poétiques et dramaturgiques pouvaient agir sur la conscience sociale de l’homme… mais le mystère ne fait que s’enrichir (mais, « jusqu’où ça commence la musique ? » [Bernard Lubat]), et l’homme, encore et toujours, aspire, espère et s’inspire à devenir humain. Ce que nous sentons quand, « dans le souffle rythmique et l’organique de l’improvisation (la vie quoi !), surgit la voix de l’Autre. »"